Le Petit Coco
Premiers Souvenirs
Dehors, le vent hurlait dans la nuit. La pluie glacée tombait à l’horizontale. Les allées du parc de « La Roseraie » étaient jonchées de branches cassées. Bientôt une éclaircie annoncerait un court répit avant que le vent tourne au Nord-Ouest en forcissant encore, poussant des bourrasques de neige.
Un cri dans la nuit.
Des femmes en blanc qui courent, une dame qui n’en peut plus après des heures de souffrances, les jambes écartées.
- « Ouin Ouin »
- « C’est un garçon…..trois kilos neuf », dit une dame en blanc.
- « Comment l’appellerez-vous ? »
- « Mumfgfikd hummmm, haaaaaaa », répondit la dame qui n’en pouvait plus.
- « Comment dites-vous ? »
- « Euh, ….Philippe, Philippe Jacques »
Voilà, j’étais arrivé !
Bien sûr, je ne me souviens pas de ma naissance, probablement parce que je devais avoir la tête ailleurs.
Je suis né le 11 janvier 1951 à La Roseraie ; à l’époque, toutes les dames accouchaient à la maison et il était plutôt snob d’accoucher dans cet établissement de Sainte Adresse.
La Roseraie, grande et belle bâtisse en pierres de taille se nichait au fond d’un immense parc. Maman, probablement chanceuse, avait une chambre spacieuse avec une porte-fenêtre donnant sur le jardin. Papa pouvait donc discrètement venir nous voir et nous embrasser à des heures impossibles sans passer par la voie normale. Maman, qui venait de souffrir le martyre de ma naissance, devait se trouver très bien dans cet environnement car elle y a séjourné pendant au moins dix jours.
Je ne vous ai pas présenté ma famille, mes parents, quel oubli !
Papa, se prénommait Jacques, il était l’ainé d’une fratrie de quatre enfants ; ses parents s’appelaient Robert et Madeleine, originaires de la région normande.
La famille Auber avait galéré pendant la guerre, au Havre, elle avait tout perdu six ou sept fois de suite au cours de bombardements. À chaque fois, la grand-mère Auber trainait sa famille au travers des décombres et investissait un logement vacant qu’elle réquisitionnait d’autorité.
Papa, grand marcheur, avait conquis une certaine Simone Viginier à l’occasion de camps scouts organisés en Sologne, à Salbris, pour être précis.
Simone, aînée de six enfants, était une superbe jeune fille. Ses parents, Félix et Augustine, n’avaient pas trop souffert de la guerre, ils possédaient une petite entreprise de fabrication de pain d’épices et de « Nonettes » qu’ils vendaient dans une boutique située sur le bord de la Nationale 20 reliant Paris à Toulouse.
Simone était devenue ma maman.
Et moi, je tétais et me faisais dorloter.
J’étais un « baby boomer ».
La maison d'Harfleur
En plein hiver, je suis rentré à la maison, chez mes parents.
Nous habitions rue de la République à Harfleur, au premier étage d’un immeuble de deux étages, au dessus du magasin de Papa.
À quelques mètres de l’église, juste avant le pont sur la Lézarde, trônait cette grande bâtisse.
En fait, au rez-de-chaussée, il y avait deux commerces
-à gauche, la boucherie de monsieur et madame Gand, séparée par une porte cochère ouvrant sur un large couloir,
-à droite trônait la quincaillerie de Papa.
Les Gand habitaient au dessus de leur boutique et les Auber au dessus de la quincaillerie ; au second étage, les Thuret et les Dejour étaient locataires.
Derrière cette maison, on trouve une cour en terre battue surveillée par deux chiens, Pipo et Rex. Cette cour, mon futur domaine, est entourée de bâtiments hétéroclites, sur la gauche, un grand garage appartenant aux Gand, sur la droite, une réserve pour la quincaillerie puis une buanderie où flottait en permanence une odeur de lessive refroidie. Au fond le la cour, à côté d’un garage en parpaings dans lequel Papa rentrait sa camionnette Renault Voltigeur, Papa projetait de construire une grande réserve en tôle ondulée. Loin sur la gauche, encore un garage et puis la cour s’ouvrait sur l’impasse, … une autre partie de mon futur royaume
Toute la famille Auber, tous les oncles et tantes, Claude et Poupie, Éliane et Hector, Monique et son mari, les Pignet, les voisins, les amis, tout le monde est passé à la maison pour admirer la septième merveille du monde.
Pour mon baptême, à Pâques 1951, même ma famille de Salbris a fait le déplacement. Ma marraine Paulette et mon parrain Hector étaient flattés d’avoir été cooptés pour parfaire mon éducation.
Marraine-Parrain
Tous autour de moi
Bien vite, j’ai porté des barboteuses à smocks et autres accoutrements, mes cheveux blonds se sont mis à boucler ; j’étais le coco chéri parfait - bien évidemment.
Sans vouloir me flatter, je devais être un beau bébé, poussant sans problème.
En « Prairie » vers Salbris
Trop fiers de leur progéniture, mes parents se devaient de me présenter à la famille de Salbris. Donc, alors que je me tenais à peine assis, j’ai été placé dans un hamac tendu au dessus de la banquette arrière de la « Prairie familiale » de Papa. La voiture était chargée comme celles de l’exode de 1940.
Nous sommes partis vers Salbris, où j’ai découvert l’autre partie de ma famille, le grand-père Morin et sa Jeanne, grand-mère Titine et Félix, les frères et sœurs de Maman ; Pierre et son épouse Jacqueline ; Paulette et son mari Henri, venus spécialement de Vanves, Monique et les jumeaux âgés de presque dix ans, Gérard et Michel.
À l’époque, j’étais loin d’imaginer la quantité de souvenirs que j’allais me construire à Salbris.
Un p’tit frère
De retour à Harfleur, je découvre une jeune bonne qui venait d’être embauchée par Maman. Elle se prénommait Hélène, je crois. Elle logeait dans une chambre mansardée, au grenier de la maison.
C’est donc Hélène qui comble tous mes caprices de bébé modèle. Elle me nourrit, me change avec des couches en tissu qui, dès qu’elles sont mouillées, vous collent aux fesses à vous donner des rougeurs. Je teste de nouveaux ingrédients dans ma purée, les carottes me donnent de belles couleurs et mes petits bourrelets s’arrondissent joliment.
Au bout de quelques mois de ce régime sympathique, Maman prend aussi des rondeurs, pourtant, elle ne partage pas les mêmes repas que moi !
Elle attend un bébé. Pas d’échographie pour annoncer si c’est un garçon ou une fille, à cette époque.
Pendant de longs mois avant la naissance, j’apprends à marcher, à chanter, à faire des sourires et des rires aux éclats. Je fais aussi pipi dans mon bain, je renverse ma purée, je fais des bêtises de petit garçon, comme c’est bien normal.
Je me prépare pour l’arrivée de la concurrence, je conquiers tout le monde, en particulier, grand-mère Auber, grand-mère Madeleine et grand-père Auber.
Le quinze avril 1952, effervescence au dessus de la quincaillerie, la sage femme est appelée, on met de l’eau à chauffer dans une bassine, on s’agite, et la grande nouvelle arrive dans un cri : un garçon, pas bien gros, vient de naître.
Il s’appellera Jean Patrice – quel drôle de prénom – Il est donc mon frère, un autre petit Coco. En fait, on prendra l’habitude de l’appeler Patou, ou Jean-Pat, parce que Jean-Patrice, pour un p’tit bonhomme comme moi, c’est impossible à dire.
Maman restera couchée pendant dix jours et, pas de chance, elle déclare une phlébite qui l’envoie à l’hôpital pour au moins quinze jours. Les grands-parents Viginier sont appelés à la rescousse car Maman doit partir en convalescence pendant un mois au moins (elle y restera trois mois). Mes grands-parents Viginier embarquent mon nouveau petit frère à Salbris ; il disparaît avant même que nous ayons pu nous lier d’affection ! Me voici à Harfleur, sans Maman mais avec Hélène ; et l’autre, mon frangin, il est loin, tout seul, à Salbris – autant dire à l’autre bout du monde. Si vous m’aviez dit cela, je ne l’aurais jamais autorisé à partir !
Bien sûr, au milieu de l’été, nous sommes partis chercher Jean-Patrice en Sologne ; il fallait que l’on apprenne à se connaître, je le faisais rire en le chatouillant, je faisais le clown, il était bon public, mais il avait quand même seize mois de moins que moi. Un bébé, quoi ! Alors que moi, j’allais sur mes deux ans. Nous avons profité de ce passage à Salbris pour baptiser Jean Pat.
De retour en Normandie, il fallait faire découvrir la région à mon p’tit frère, on le promenait dans un landau « Aubert » énorme, avec des roues grandes comme ça. On allait au Havre lui montrer le Boulevard Albert 1er qui longe la plage. Je tenais la main de Maman, et Papa, tout fier, poussait le landau.
Parfois, nous allions faire des châteaux de sable sur la plage du Havre, on avait enfilé le magnifique maillot de bain en laine tricoté par grand-mère Auber, ça grattait, je ne vous fais pas de dessin.
[1] Voir la Généalogie de Philippe AUBER
Mon Papa
Ma Maman